LE BÉNIN A CESSÉ D’ÊTRE UN ETAT DE DROIT
Toutes les arguties fussent-elles incongrues sont valables dans les petits pays autocratiques pour empêcher un adversaire politique d’exercer son droit d’opiner sur la gestion et la direction des affaires publiques. Peu importe si c’est en violation des lois en vigueur dont on est soi-même garant et au mépris de tous les instruments juridiques internationaux auxquels le pays est partie.
Avant tout propos, il me paraît judicieux de fixer le débat de l’inventaire non exhaustif des conventions internationales et traités auxquels le Bénin est partie en matière de protection des droits de l’homme.
J’ai retenu pour votre attention une dizaine d’instruments internationaux de droits humains à valeur supranationale auxquels le Bénin est partie avec, pour chaque traité, l’année d’entrée en vigueur au Bénin.
Il s’agit de :
1- Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Année de signature par le Bénin: 1967, Année de ratification/Adhésion:2001)
2- Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Année de ratification et d’adhésion par le Benin:1992)
3- Protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques (Année de ratification et d’adhésion par le Benin:1992)
4- Deuxième protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort (Année de ratification et d’adhésion par le Bénin:2012)
5-Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Année de ratification et d’adhésion par le Bénin:1992)
6-Protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels (Année de signature par le Bénin:2013)
7- Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Année de signature par le Bénin: 1981; Année d’adhésion et de ratification par le Bénin:1992)
8- Protocole facultatif à la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Année de signature par le Bénin: 2000; Année d’adhésion et de ratification par le Bénin:2019)
9- Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Année d’adhésion et de ratification:1992)
10- Protocole facultatif à la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants (Année de signature par le Bénin :2005; Année d’adhésion et de ratification par le Bénin:2006)
Mes chers compatriotes,
Amazoniennes, amazoniens,
Vous noterez avec moi que c’est à la ferveur des retombées des libertés publiques, et seulement une année après l’historique conférence des forces vives de la nation, que la première législature du Bénin sous le renouveau démocratique a ratifié le pacte international sur les droits civils et politiques.
Les libertés publiques sont donc incorporées à la démocratie et inversement. Aussi, aucune réforme faussement présentée comme progressiste ne peut-elle remettre en cause ce principe universellement reconnu.
Malheureusement, après 30 ans d’apprentissage démocratique, quel piteux constat!
Sommes-nous encore un État de droit ?
Sommes-nous encore un État de droit lorsqu’un agent de l’administration pénitentiaire en dépit d’une telle panoplie
d’instruments pertinents des droits humains accepte aveuglément d’exécuter un ordre visant à interdire à un détenu de recevoir des visites de parents et amis sans aucun motif ?
Sommes-nous encore un État de droit lorsque les droits des détenus varient d’une prison à une autre, et au sein d’une même prison, voire dans une même cellule, d’un prisonnier à un autre?
Sommes-nous encore un État de droit lorsqu’il est refusé à un détenu politique d’une prison la visite de ses amis et partenaires politiques sous le prétexte fallacieux qu’elle est soumise à une autorisation spéciale du procureur spécial sur la base d’un décret datant de 1973, décret du reste abrogé et désuet; et que dans une autre prison cette même interdiction d’une visite similaire est basée sur un autre faux prétexte, le Covid 19, lequel est pourtant en phase de rémission générale à travers le monde?
Sommes-nous encore dans un État de droit, lorsque le procureur spécial saisi par une, deux, trois demandes de visite répond par un silence méprisant, symptomatique de sa gêne et de son manteau de partisan politique en lieu et place de représentant de la société.
Sommes-nous encore un État de droit lorsqu’un gouvernement participe à une procédure contradictoire devant les experts de l’ONU au Groupe de Travail sur la Détention Arbitraire (GTDA), et pour finir, après avoir perdu devant l’instance des Nations-Unies, se refuse de mettre à exécution les mesures urgentes de cessation d’une détention illégale, donc arbitraire ? “Il n’y a point de cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice”, avait écrit Montesquieu, le père fondateur de l’un des pilliers de la démocratie, à savoir le régime de séparation des pouvoirs.
Sommes-nous encore un État de droit lorsque le Groupe de Travail du Conseil des Droits de l’Homme des Nations-Unies, après examen minutieux des arguments et pièces à lui fournis par le gouvernement, recommande au Bénin d’aligner sa pratique et sa législation sur le droit international et d’améliorer les conditions de détention? Mais, circonstances agravantes, en lieu et place d’amélioration, l’on assiste plutôt à une dégradation des droits humains dans les prisons.
Sommes-nous encore un État de droit lorsque l’on prive une détenue arbitraire de toute possibilité de recevoir la visite de ses enfants mineurs pendant une année, de téléphoner à ses enfants, à ses parents et amis depuis deux ans, lorsque les autres détenus bénéficient amplement de tous ces droits, certains en abusant même?
Sommes-nous encore un État de droit lorsque la détenue arbitraire n’a pas la possibilité de suivre comme les autres détenus, l’information des médias audiovisuels et radiophoniques?
Sommes-nous encore un État de droit lorsqu’il n’est pas possible de s’entretenir librement avec son conseil et ses codéténus arbitraires au grand dame du code de procédure pénale en vigueur et pendant que d’autres avocats reçoivent parfois jusqu’à une dizaine de clients ensemble?
Sommes-nous encore dans un État de droit lorsqu’il fait bon vivre pour le détenu de droit commun contrairement au détenu politique naguère candidat de l’opposition face au chef de l’État et de surcroît si vous avez le malheur de vous appeler Reckya Madougou?
Sommes-nous encore dans un État de droit lorsque l’écrasante majorité des détenus politiques encore gardés dans les geôles sont à 98% originaires de la zone septentrionale de notre pays?
Sommes-nous encore un État de droit lorsque des prescriptions de bilans de santé faites par les médecins d’une détenue politique suite à des crises de santé sont restées lettre morte parce qu’elle s’appelle Reckya Madougou? Alors même que chaque jour d’autres prisonniers – notamment des amis politiques et businessmen – en bénéficient à leur guise au point même d’organiser régulièrement leur propre hospitalisation interminable préférant les chambres climatisatisées et autres facilités des hôpitaux à la fournaise du cachot, si ce n’est qu’ils organisent tout bonnement des évasions ou évacuations sanitaires rocambolesques.
A quoi sert-il de faire croire sur les foras internationaux que l’on promeut la démocratie et les droits humains si les droits fondamentaux inaliénables sont bafoués par le seul fait du prince, le ministre de la justice sous ordres ?
Soyez honnêtes envers vous-mêmes, assumez jusqu’au bout vos dérives autocratiques, y compris vos méthodes à peine déguisées d’assassinat de vos prisonniers dont les opinions vous dérangent. C’est aussi une option de gouvernance. Mais avant cela, il va falloir vous débarrasser des acquis de la Constitution de 1990 – déjà bien couturée- étant donné qu’à ce jour notre Constitution affirme toujours très clairement les orientations suivantes: État démocratique, État de droit, liberté d’expression et d’association, liberté de réunion, justice, égalité et équité; elle proscrit les discriminations, les tortures sous quelque forme que ce soit.
Assurément, le Bénin a cessé d’être un État de droit, surtout pour les concurrents politiques au régime. Le bistouri de la rupture est passé par là. Le Bénin est devenu une république qui excelle dans la persécution et l’acharnement contre les opposants politiques jusque dans les abîmes des prisons et même dans les pays hôtes, des exilés notoires sont en danger.
Mes chers Amazoniennes et amazoniens, rejoignons Ghandhi, héros et apôtre de la non violence: “Dès que quelqu’un comprend qu’il est contraire à sa dignité d’Homme d’obéir à des lois injustes, aucune tyrannie ne peut l’asservir “.
#ToutExpire
Reckya Madougou
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