Au Bénin, des milliers d’adolescentes sont privées d’un accès adéquat à l’information et aux services de santé sexuelle et reproductive. Une situation aggravée par le poids des traditions, des tabous et le silence des familles. Pendant ce temps, les risques de grossesses précoces, d’avortements clandestins et d’infections explosent. Enquête.
Dans les quartiers populaires de Bassila, la scène est fréquente. Lorsqu’une adolescente ose poser des questions sur son corps ou sa sexualité, la réponse est souvent brutale : « On ne parle pas de ça ici. » Prisca, 16 ans, élève en classe de première, en a fait l’expérience. « Un jour, j’ai demandé à ma tante ce que c’était que les règles. Elle m’a dit que c’était sale et que je n’avais qu’à prier pour être une fille bien. »
Ce type de discours, ancré dans de nombreuses familles béninoises, empêche les adolescentes d’avoir une éducation sexuelle de base. Résultat : elles se tournent vers les réseaux sociaux ou leurs amies, avec un risque élevé de désinformation. Ce manque de dialogue ouvre la voie à des comportements à risque, parfois aux conséquences dramatiques.
Dans les centres de santé, une jeunesse mal accueillie
Au-delà de la cellule familiale, les structures sanitaires censées informer et protéger les jeunes ne sont pas toujours adaptées. À Cotonou, dans un centre de santé public du 5ᵉ arrondissement, une sage-femme sous anonymat témoigne : « Quand une adolescente vient demander une méthode contraceptive, certains collègues la jugent ou refusent de la servir sous prétexte qu’elle est trop jeune. » Pour beaucoup de filles, se rendre dans un centre de santé est une épreuve. Mauvais accueil, manque de confidentialité, peur d’être reconnue : tout cela dissuade les adolescentes de rechercher des services essentiels à leur bien-être. Conséquence, selon les chiffres de l’UNFPA, plus de 20 % des filles de moins de 19 ans au Bénin ont déjà connu une grossesse, souvent non désirée. Certaines interrompent leur scolarité, d’autres subissent un avortement dans des conditions dangereuses.
Des tabous qui résistent… mais des lignes qui bougent
Si la société béninoise reste majoritairement conservatrice, des initiatives locales tentent de briser les silences. À l’école secondaire de Togba, un programme pilote d’éducation complète à la sexualité a vu le jour. Grâce à l’appui de l’ONG New Word, des élèves sont formés comme pairs éducateurs pour parler à leurs camarades des règles, des IST, du consentement et de la contraception. « Parler entre nous, sans jugement, change beaucoup de choses. J’ai compris que je pouvais me protéger et prendre des décisions pour mon corps », explique Françoise, 17 ans, animatrice du club santé. Des ONG telles que ABPF, WILDAF Bénin ou OSIWA soutiennent également des programmes d’information dans les lycées, les centres de jeunesse ou via les médias. Mais leur portée reste limitée face à l’ampleur du défi.
L’éducation sexuelle, un droit encore fragile
Pour les experts en santé publique, l’éducation sexuelle complète ne signifie pas incitation à la sexualité, mais plutôt un outil de prévention, d’autonomisation et de protection. « Refuser l’information, c’est condamner les jeunes filles à l’ignorance, et donc à la vulnérabilité », martèle Dr Félicia Akpé, gynécologue à Porto-Novo. Le gouvernement béninois a adopté une Stratégie nationale de DSSR pour les adolescents et les jeunes, mais sa mise en œuvre reste inégale, faute de financement et de volonté politique locale. Dans plusieurs communes, les enseignants refusent encore d’aborder ces thèmes en classe, et les chefs religieux bloquent parfois les initiatives.
Les adolescentes béninoises veulent comprendre leur corps, faire des choix éclairés, éviter les grossesses précoces et rester à l’école. Mais pour cela, elles ont besoin de soutien, d’informations fiables et de services accessibles. Briser les tabous autour de la santé sexuelle n’est plus un luxe, mais une urgence sociale, éducative et sanitaire. Tant que le silence prévaudra, les risques continueront de peser lourdement sur l’avenir des jeunes filles.
Kevin da SILVA
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