Une réflexion de David SOHOU, sur le modèle démocratique et ses perspectives futures à l’occasion de la Journée mondiale de la Démocratie
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Conçue autour de la représentation, la démocratie se fonde sur des procédures, des délibérations, des expertises et des opinions qui s’expriment dans un cadre institutionnel entièrement inclusif. Cependant, parmi les nombreuses inégalités qui traversent les sociétés africaines et compromettent la consolidation démocratique, celles qui affectent les “cadets sociaux” (les jeunes et les femmes), sont particulièrement lourdes de conséquences pour le présent et l’avenir.
Ces deux catégories, bien que non homogènes, partagent des différenciations sociales internes et des antagonismes qui les divisent. Toutefois, elles ont en commun d’être à l’avant-garde des grandes transformations à l’œuvre sur le continent. Qu’il s’agisse de l’alimentation, de la santé, de l’éducation, de l’environnement, ou de manière plus générale, des conditions d’accès aux moyens de subsistance, leur contribution au bien-être communautaire est d’une importance cruciale.
Dépouiller la démocratie du pouvoir immatériel féminin n’augure que d’un édifice systémique incomplet et dangereux. La démocratie s’enrichirait considérablement si elle se repensait et se réformait en s’appuyant pleinement sur les aptitudes réflexives et pragmatiques des femmes, ainsi que sur leurs expériences quotidiennes, aussi riches que variées.
En effet, la vie des femmes est tissée de multiples engagements et relations (famille, travail, voisinage, alimentation, soins, etc.) auxquels elles répondent de façon continue tout au long de chaque journée. En les excluant tel qu’il l’est, le modèle démocratique en vigueur dans nos États met à côté des points de vue, des perspectives centrées sur la vie quotidienne, le bien-être collectif, et la gestion des ressources, des sujets qui sont moins pris en compte par les structures dominées par les hommes.
En commettant l’impair de se vouloir élitiste, la démocratie s’appauvrit de regards endogènes suffisamment ancrés dans les réalités du vivant dont elle s’est déconnectée ! Il s’agit donc de libérer la parole des femmes, au sein de constructions où de nouveaux récits peuvent émerger. Dans ces cercles, la parole prend des formes variées : déclamation, prière, poésie, chant, voire danse et expression corporelle. Elle devient une forme de littérature qui allie théorie, poésie, fiction, cinéma, bande dessinée, caricature, lettres, et bien d’autres créations artistiques.
En tant que forme politique et démocratique à part entière, ces récits et cette parole libérée laissent place à l’imagination, aux émotions et à l’esthétique. Ils permettent également de transfigurer la colère et la contestation en des forces de transformation, aussi bien à grande qu’à petite échelle, tant sur le plan local que personnel. Cette vision critique et réparatrice de la démocratie repose sur la conviction que l’imaginaire doit être politisé, afin que la démocratie puisse véritablement contribuer à préserver l’essence même de l’humanité, en plaçant les femmes au premier rang de cette mission.
Nous proposons donc la mise en place de programmes visant à renforcer la participation active des femmes dans la construction d’une forme démocratique non seulement représentative (qui a montré ses limites), mais surtout enrichie par l’héritage de l’endogénéité, capable de stimuler l’émergence d’une nouvelle génération de citoyennes pleinement engagées dans la sphère publique.
Nous recommandons également que ces programmes s’inspirent fondamentalement du matrimoine, cette source d’exemples puissants, qui contribue à la solidité et à la résilience de la société africaine contemporaine (ou du moins, à celle qui se construit). En ralliant les jeunes, il conviendrait d’insister davantage sur leur initiation à la participation citoyenne par le biais des nouvelles technologies, rendant ainsi le travail des divers acteurs plus palpable et plus sensible aux aspirations des cadets sociaux.
En définitive, la démocratie en Afrique ne pourra se régénérer et prospérer que si elle intègre pleinement le pouvoir immatériel des femmes et des jeunes. Elle gagnerait à devenir hybride en prenant appui sur les héritages culturels africains tout en exploitant les opportunités offertes par la modernité et les nouvelles technologies pour aboutir à un modele plus inclusif, participatif et sensible au vivant; un vivant dont la part d’essence concentrée dans le féminin reste inexploitée sinon ignorée des décideurs actuels !
David SOHOU
Juriste Spécialiste de Politiques Publiques, Expert des Droits humains et Démocratie